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Que dire de plus !

Dans la série « La vie des Voisins », une petite histoire destinée à découvrir une nouvelle facette de l’humanus communus.

Que dire de plus ? La réflexion, que dis-je la réflexion, le borborygme incompréhensible de l’homme de Neandertal  qui se tenait face à moi semblait tenir lieu de réponse à ma question. J’en restais pantois d’incrédulité.

Voici l’histoire.

Il était 7 heures du matin, les oiseaux finissaient leur petit déjeuner par une légère becquée d’eau fraîche. Le soleil commençait à réchauffer l’air du petit lotissement pavillonnaire où j’abrite ma famille. Juste rasé, je m’offrais également une becquée de café frais, goûtant le calme de ce mercredi matin. La maisonnée endormie prenait des allures de temple égyptien par la grâce du chat simulant le Sphinx à l’extrémité du dossier du long canapé. Les enfants rêvaient encore aux bêtises qu’ils allaient faire en ce jour de repos scolaire. Les jumelles rêvaient certainement à ce merveilleux premier biberon de lait chocolaté qu’elles dégusteraient dans une petite heure. Mon épouse rêvait aussi de ce mercredi béni où tout irait bien, sans colère, sans vêtement taché, sans dispute entre les deux aînés, sans dispute entre les cadettes, sans message alarmiste sur le répondeur, sans… Sans… Bref elle rêvait.

 Soudain, la fin du monde débuta. Un bruit infernal de moteur à explosion défonça, laboura, déchiqueta, explosa toute cette sérénité en un dixième de seconde et continua à piétiner rageusement notre tranquillité. A la fois furieux et médusé, je giclai hors de la maison. Juché sur son chargement de bois, un livreur tronçonnait sa cargaison. Son engin hurlant les décibels à moins de 5 mètres de la fenêtre de la chambre des jumelles, venait évidemment de réveiller tout le quartier et de provoquer des hurlements d’effroi chez nos deux bébés âgés de 2 ans à peine. Je vociférai à cet abruti de bûcheron de stopper son engin. Malheureusement, l’essence circulait visiblement plus vite dans le carburateur de la tronçonneuse que la compréhension dans le cerveau du tronçonneur. Enfin, au bout d’un certain temps estimé à 3 ou 4 bûches coupées, il obtempéra.

Le silence revenu, je lui demandai d’arrêter son massacre et de ne reprendre que dans une petite heure afin de ne pas gêner plus qu’il n’est décemment acceptable le voisinage. Je lui montrai la fenêtre de nos deux bébés en lui expliquant le mal accompli. Sa première réponse fut :  « J’ai du boulot, j’le fais. J’ai pas l’temps d’arrêter. Y’a d’ots client à livrer ».

J’avisai alors ma voisine, commanditaire de cette cargaison et lui demandai des explications. Celle-ci me répondit qu’elle ignorait qu’il faille découper les bûches avant de décharger et qu’elle était désolée du dérangement dû à tout ce bruit. J’attendais qu’elle poursuive et abonde dans mon sens en demandant au livreur de surseoir à ses exécutions végétales et de nous laisser un peu de répit. Mais non ! Aucune suite ne vint à ces excuses. J’abrège ici la relation de mes tentatives qui se heurtèrent à une intolérance ignorante d’une part et à un pois chiche circulant librement dans une boite crânienne en chêne d’autre part.

Finalement dégoûté, je lui dis une dernière fois à quel point il était inadmissible qu’il poursuive. J’obtins alors la réponse suprême, la quintessence de l’arôme total de concentré de pureté de la réflexion extrême du bœuf désencéphalisé : « Les Parisiens y vennent bin nous faire chier avec leurs bouchons et la pôôlution le vique-inde, alors moi je tronçonne la semaine. »

Que dire de plus ?

Je rentrai chez moi et pris dans mes bras nos deux bébés aux regards apeurés, sanglotant encore. Malgré un mot d’excuse glissé dans les boites aux lettres le lendemain, je garde, de ce jour, un profond mépris pour tout ce qui ressemble à une tronçonneuse. Mépris éveillé, cela va sans dire.

Et merci qui ?

Merci le feu !

Coralexis Laurion.

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© Dominique Vastra 2002